Nawal el-Saadawi / écrivaine et Médecin Psychiatre égyptienne
Nawal el-Saadawi
Écrivaine et médecin psychiatre du 20e siècle, la féministe égyptienne Nawal el-Saadawi a dédié sa vie à l’émancipation des femmes du monde arabe. Celle qui a enduré dès son plus jeune âge les offenses d’un système patriarcal cruel et injuste, relève tous les défis grâce à l’écriture. Ses œuvres littéraires à la fois autobiographiques et universelles, peu connues en Occident, sont internationalement plébiscitées comme étant les piliers du féminisme oriental. Nawal el-Saadawi paie le prix fort de son militantisme et de sa ténacité. Menaces de mort, traques, prison et exil, cette combattante hors norme lutte pour sa vie et pour l’égalité homme-femme
SA BIOGRAPHIE
Nawal el-Saadawi naît en 1931 dans un village de basse Égypte, à Kafr Tahlah. Sa mère, issue d’une famille musulmane traditionnelle, épouse son père à 15 ans. Lui est fonctionnaire dans l’éducation, elle, reste à la maison, affairée à nourrir son mari ainsi que ses huit frères et sœurs.
À la maison, on lui enseigne qu’un garçon vaut au moins 15 filles. Nawal, petite fille perspicace, décode les mécanismes violents de la société patriarcale égyptienne. Elle voit des adolescentes mariées très tôt, travaillant aux champs et à la maison, prisonnières de leur maternité et assujetties par l’héritage culturel. À l’été 1937, la mère de Nawal insiste pour faire exciser sa fille qui n’a alors que 6 ans. Toutefois, Nawal n’est pas une exception. Dans les villes comme dans les villages, riches ou pauvres, toutes les filles subissent des mutilations sexuelle avant d’atteindre les premières années de la puberté.
La fratrie est envoyée à l’école du village de Kafr Tahlah. Tous les matins, Nawal quitte la maison avec l’empressement d’un prisonnier qui vient d’être relâché. Pourtant bonne élève, ses résultats n’intéressent personne. La jeune écolière comprend alors que sa liberté dépend de l’écriture. Plus tard, elle demande à son instituteur si elle peut écrire au paradis, Nawal est renvoyée de sa classe quelques jours pour propos blasphématoires.
L’année de ses 10 ans, sa famille arrange son mariage. Or, Nawal n’en veut pas. Elle se rebelle et se montre insolente envers sa future belle-mère. Les noces sont annulées. En réponse à son attitude, ses sorties sont interdites. Son quotidien se résume à l’école et aux fourneaux. Nawal, humiliée, rêve de s’échapper. Elle en est déjà convaincue, la libération des femmes passe par l’éducation et l’instruction, la sienne et celle de toutes les Égyptiennes !
En 1948, Nawal a 17 ans et fait déjà figure d’exception. Alors que toutes les filles de son entourage sont mariées et ont des enfants, elle intègre la faculté de médecine Fouad 1er de Gizeh. Nawal y rencontre une jeunesse à son image, en quête de justice et engagée à faire évoluer les pensées nécrosées. Étudiante brillante, elle quitte Le Caire en 1955 pour poursuivre une maîtrise en santé publique à l’université Columbia de New York.
Nawal el-Saadawi : médecin psychiatre pour diagnostiquer les maux de la société égyptienne
À son retour en Égypte, Nawal devient médecin-chef du dispensaire de Kafr Tahlah. Là, elle examine plus de 100 patients par jour. Elle se démène pour obtenir des médicaments, soigne les femmes battues, violées et maltraitées par leurs maris. Les tragédies individuelles et familiales se jouent quotidiennement sous ses yeux. Loin d’être désemparée, Nawal redouble de pédagogie auprès de la population locale et tente de faire naître un sentiment de sororité entre les femmes qu’elle rencontre.
« L’essentiel est que chaque enfant, qu’il soit un garçon ou une fille, doit bénéficier de toutes les occasions qui feront émerger son talent ou sa force dans tous les domaines. »
Les femmes du village respectent et aiment leur doctoresse, en qui elles voient un modèle, sans pour autant réussir à s’extirper de leurs propres conditions. Le problème est tenace. Nawal se rend compte à quel point l’ignorance et le manque d’instruction enferment les femmes dans un profond état de résignation et de servitude.
Ces Œuvres littéraires fondamentales
Agissant selon ses principes, Nawal écrit alors pour dénoncer les tabous honteux et les injustices perpétrées au nom de la morale, de la religion ou même de l’amour ! Sans jamais chercher à complaire, ses ouvrages servent les intérêts de la femme en tant qu’être humain libre et souverain de son propre corps.
Mémoires d’une femme médecin
Nawal a 27 ans, lorsque son premier roman est publié en 1958. Mémoires d’une femme médecin, partiellement autobiographique, est considéré comme une œuvre pionnière dans le féminisme moderne du monde arabe.
Sans fard ni concession, Nawal revient sur ses études de médecine. Seule parmi les hommes rien ne lui est épargné : insultes, coups bas et humiliations. Elle narre son combat pour réussir et s’épanouir professionnellement dans cette société hypocrite et injuste. Cependant, Nawal ne met aucune limite à son récit en dénonçant l’intégrisme religieux, le patriarcat et les violences conjugales qu’elle-même connaît.
« La cellule familiale est la première prison des femmes égyptiennes. »
Ses mots dérangent. La société conservatrice égyptienne critique vivement sa prise de parole tranchée. Les réactionnaires politiques et religieux veulent censurer cette « folle athée » qui propage des idées dangereuses pour les filles.
La femme et le sexe ou les souffrances d’une malheureuse opprimée
En 1972, la parution de la femme et le sexe déchaîne les passions. Ce livre documentaire qui porte sur la défense des droits de la femme expose les sévices sexuels et psychologiques ainsi que leurs conséquences dramatiques. Les thèmes abordés de la sexualité, du plaisir féminin, de l’avortement et des abus sur les enfants créés la controverse. Les perceptions commencent à changer, les Égyptiennes réalisent leurs vies et découvrent le mot « liberté ». La révolution intérieure se met en route !
« Ils m’ont dit : vous êtes une femme dangereuse et sauvage. Je dis la vérité. Et la vérité est sauvage et dangereuse. »
Nawal el-Saadawi est révoquée de ses fonctions de médecin et perd son poste au ministère de la Santé du Caire. On l’accuse de manquer de respect aux valeurs morales et aux coutumes de la société égyptienne.
Parcours de vie d’une femme qui ose et bouscule un pays du monde arabe
La vie de Nawal el-Saadawi est jalonnée de dangers. Tout au long de sa vie, la féministe égyptienne connaît le harcèlement, l’intimidation, la traque, la prison et l’exil. Son travail est censuré et ses livres interdits dans son pays. Révoquée de ses fonctions de médecin, l’État égyptien l’accuse même d’apostasie. Nawal est bafouée dans sa foi !
« Le danger a toujours fait partie de ma vie, du moment où j’ai pris un stylo et je me suis mise à écrire. »
Nawal reçoit des menaces de mort qui la qualifie d’ennemie de Dieu. Le 6 septembre 1981, les militaires enfoncent sa porte, armes au poing. Nawal est arrêtée et incarcérée 3 mois à la prison des femmes de Kanater pour le motif suivant : est à l’origine d’un clivage sectaire et représente une grande menace pour la nation. Pendant sa captivité, Nawal rédige Mémoires de la prison des femmes.
« Ma mère disait qu’on pouvait me jeter dans le feu et j’en sortirais indemne ! »
De 1988 à 1993, le danger s’intensifie et son nom figure sur une liste de condamnés à mort par les islamistes. En 1991, lorsque la menace est imminente, Nawal n’a plus d’autre choix que de s’exiler aux États-Unis. De ses années d’études à l’université Columbia de New York, elle conserve un cercle d’amis et de confrères qui l’accueillent et l’aident à poursuivre son combat.
Ca reconnaissance internationale et l’héritage
De Nawal el-Saadawi
Héritage de cette femme engagée
L’héritage de la féministe égyptienne Nawal el-Saadawi est colossal, elle transmet aux générations futures plus de 30 livres, traduits dans 40 langues. Grâce à elle, l’excision devient un crime punissable en Égypte et les mères célibataires obtiennent le droit de donner leur nom de famille à leurs enfants. Les années passent et le militantisme de Nawal reste intact. À 80 ans, elle participe à la révolution égyptienne en rejoignant ses compatriotes sur la place Tahrir du Caire. L’AWSA-Be, l’association qu’elle a fondée et présidée, milite toujours pour la promotion des droits des femmes originaires du monde arabe.
Ces décorations
- 1974 : prix de littérature du conseil supérieur du Caire ;
- 1978 : conseillère aux Nations Unies ;
- 1981 : couverture du Times ;
- 1982 : prix littéraire de l’amitié franco-arabe ;
- 1988 : prix littéraire de Gubran ;
- 2004 : prix North-South décerné par le Conseil d’Europe ;
- 2005 : prix Inana International ;
- 2007 : Docteur Honoris Causa de l’université libre, Bruxelles ;
- 2010 : prix Sean MacBride Peace ;
- 2010 : doctorat honorifique de l’université nationale autonome du Mexique ;
- 2015 : décoration par la ministre de la Culture et du Patrimoine de Tunisie ;
- 2020 : le Times la désigne comme l’une des 100 femmes de l’année.
Il n’y a pas de combats trop difficiles, d’obstacles trop hauts pour Nawal.
Elle est une Hora Exceptionnelle, déterminée, éminente, taquine, intraitable, voilà ce qu’évoque son nom à tous ceux qui l’ont côtoyée.
Nawal el-Saadawi s’éteint le 21 mars 2021 au Caire, cette ville qu’elle a adorée et détestée. À l’instar de sa vie, sa disparition est peu relayée dans les médias. Sans bruit ni éclat, l’humanité perd l’une des personnalités les plus importantes du 21e siècle.
Elle restera pour toujours une femme Hora parmi tant de femmes horath dans le monde