l’interview du cinéaste algérien / Abderahim LALOUI
Bonsoir a vous cher Monsieur Abderahim LALOUI
1 – Qui est Monsieur Abderrahim LALOUI ?
Si une date et un lieu de naissance ainsi que certains évènements clés peuvent définir un homme, alors, je m’appelle Abderrahim Laloui, je suis né en Juin 1949, dans la région de la petite Kabylie ce qu’on appelle les Ben yala genzat, région qui a enfanté de grands révolutionnaires, de grands oulémas Bougerra, Debbih Cherif, Larbi Zekkal, sa sœur Fatima Zekkal, Malika Gaid, Fodil El Ouartilani etc.
Beaucoup de membres de ma famille vivaient ailleurs. Je me rappelle que le plus jeune de mes oncles vivaient en France à la fin des années 1947, c’était un artiste, un musicien, il jouait du Banjo c’était un ami de Dahman Elharrachi. Ensuite, l’appel du devoir oblige, il est rentré en Algérie où il a été chef fédayins en Kabylie. Mon autre oncle et mon père firent de même… Malheureusement, cet oncle musicien, Ahmed Ezzine, est mort en martyr alors qu’on le torturait.
A l’indépendance, j’ai fait une école de décorateur, j’ai beaucoup pratiqué la décoration avant de devenir un comédien de premier plan dans les années 70s incarnant toujours des rôles principaux, j’étais à cette époque considéré comme un jeune premier.
J’ai plus tard ouvert ma propre boite de production et suis devenu producteur avant de réalisé en 2013 Mémoire de scène, un long métrage dont l’histoire se déroule au début de ce qu’on a nommé, la décennie noire.
2 – Parlez-nous de votre personne.
C’est très difficile de parler de soi. Ceci dit et sans vantardise, je me vois comme quelqu’un de dynamique. J’ai été partout, je suis incapable de resté sur place. Je souhaite vraiment continuer à travailler jusqu’à mon dernier souffle. J’ai bourlingué. Je suis partie d’une montagne d’où je suis né, je suis un montagnard, je suis partie de là-bas, je me souviens j’étais habillé en gandoura, pieds nus, j’avais trois ans et demi, dans la montagne, une montagne enneigée, en tous cas c’est l’image que j’en garde avec une certaine tendresse. Ensuite, en 1954 le déclanchement de la révolution Algérienne et c’est en 1957 ou 58, pour la première fois de ma vie, je fis la découverte de la ville. Ça a fait l’effet d’une bombe dans le cerveau de l’enfant que j’étais. Je vous raconte cela pour vous illustrer l’évolution d’un homme, passer d’une vie de montagnard, à la modernité et devenir au fil des ans un homme moderne. C’est ce parcours qui m’a permis d’être ce que je suis, passer de la montagne, vers la ville, vers la modernité, troquer sa gandoura pour un habille non pas occidental mais universel, comme l’architecture qui domine dans les villes et qui aujourd’hui est une architecture universelle.
Bref, comme je l’ai dit avant, c’est via mon oncle musicien que j’ai découvert l’art. Ce fut un véritable choc lorsque vers l’âge de quatre – cinq ans il nous emmenait au printemps moi et ma cousine à Yermane, nos champs, d’oliviers, de figuiers. Et sous un arbre il nous jouait des mélodies au Banjo qui me laissaient sans voix, et cet instrument, sous mon regard d’enfant étaient gigantesques je le voyais comme un instrument étrange et merveilleux. Montagnard que j’étais, tout m’émerveillait, nous n’avions encore rien vu, notre vie était ponctuée par les cours à l’école Coranique, la Madrassa, et les bombardements, donc, cet instrument exotique me fascinait. Ces sons qui en sortaient étaient magiques. Aujourd’hui je peux dire des notes au lieu des sons. A l’époque évidemment je ne savais pas qu’on les appelait comme ça. Et cet instrument, l’instrument musical de mon oncle est quelque chose qui m’accompagne au plus profond de moi-même. C’est là que mon intérêt pour l’art est né. La musique de mon oncle parlait de tout, d’engagement, d’amour, et le tout en Kabyle.
Ensuite, c’est une fois arrivé à Sétif que j’ai découvert un autre univers, les voitures, les rues, la vie dans un appartement, le théâtre, les salles de cinéma, je suis passé des montagnes, de la nature, des hélicoptères, des GMC, des Casernes, des Militaires, des avions, à une vie citadine, et l’apprentissage d’une autre langue, le Français, un clivage monstrueux. A partir de là, tout a changé. Et c’est à l’école, (que j’ai rejoint avec trois ans de retard), que j’ai découvert le cinéma, via Laurel et Hardy, ce sont mes premières images, drôles, sensibles… C’est à cette période que j’ai découvert que j’étais doué pour le dessin… Et bien plus tard, à l’indépendance, vers l’adolescence, vers l’âge de quinze ans, j’allais au cinéma en cachette de mon père et de ma famille en général. Aller au cinéma était très mal vu à l’époque, alors j’y allé en douce, en secret, avec un ami. Le premier film que j’avais vu à l’époque était ULYSSES avec Kirk Douglas, puis les Westerns typiquement Américains avec le grand ouest et ses décors majestueux immortalisés par les films du duo John Ford / John Wayne, tous les films de cette période où je transgressais l’interdit de voir des films m’impressionnaient profondément. Quotidiennement, je croquais dans le fruit interdit.
3 – Vous avez effectué vos études à Sétif avec trois années de retard, quelle était la cause ?
La cause, c’était la guerre tout simplement. C’est Mr Belahcen qui était directeur d’école, et patriote, qui a aidé beaucoup d’enfants qui comme moi n’avaient pas eu la chance de commencer les études à six ans comme il est de mise. Je n’avais pas le droit mais il m’avait directement inscrit dans le registre pour une éventuelle inspection comme si j’avais fait les trois années précédentes. Donc je me retrouve en classe entouré de Français, très peu d’Algériens, mais le peu d’Algériens qu’il y avait sont plus tard devenus l’élite du pays… Et c’est grâce à deux instituteurs, Mr Zitouni paix à son âme, et Mr Rachid Rouguem, qui à coup de cours accélérés et en se déplaçant presque tous les jours à la maison, que j’ai pu rattraper les trois années de retard. Une preuve incroyable de solidarité à l’époque. Plus tard Mr Rouguem a rejoint le maquis, en 1960 je crois.
4 – Après l’obtention de votre sixième, vous avez intégré l’institut professionnel en 1964 pour devenir décorateur artistique, parlez-nous de cette expérience Mr Laloui.
Ça ressemblait beaucoup à des études aux beaux-arts mais ce n’était pas les beaux-arts. Et puis attention, c’était prestigieux, on y accédait par un concours, ce n’était pas donné. Ça a duré deux ans, c’était des études de décoration intérieure, à ne pas confondre avec la scénographie. On avait une majorité de professeurs Français, ils y en avaient beaucoup qui sont partis bien des années après l’indépendance.
Ensuite, j’ai travaillé dans le domaine de la décoration, j’ai voyagé, vu du monde, jusqu’en 1972…
5 – Mr Laloui, vous étiez un cinéphile ardent, ce qui vous a permis de décrocher votre premier rôle principal dans le long métrage de Mr Badredine Boutemene, comment ? Quel était votre sentiment lorsqu’on vous a choisi pour le rôle principal du long métrage LA LIGNE DE FEU ?
Avant Badredine Boutemene, j’avais déjà eu une première expérience dans l’audiovisuel en 1971 avec Mohamed Houidek qui faisait là son premier film ou plutôt téléfilm qui s’intitulait LA NEGLIGEANCE, avec Mahmoud Lekhal comme Directeur de la photographie et où Atman Ariouet faisait également ses débuts.
Houidek m’avait fait participé à la préparation du film, je n’étais pas officiellement son assistant mais j’ai beaucoup aidé en amont du tournage.
Et c’est sur ce film que Badredine Boutemene m’a repéré et m’a proposé de jouer le rôle principal de son long métrage LA LIGNE DE FEU…
J’étais tellement heureux de cette proposition. Pour moi, c’était comme une renaissance. Vous allez rire, ça me renvoyait à Laurel et Hardy que j’avais découvert tout petit à l’école, j’allais enfin réaliser un rêve. Etre un acteur, comme ces gens que l’on voit au cinéma. En même temps, c’était la continuité de mon expression artistique, j’ai été décorateur, maintenant acteur, une étape importante venait d’être franchie, que va être la prochaine étape ?
Ceci dit j’avais très peur. J’avais l’impression d’avoir un gros examen à passer, ou de monter sur un ring de boxe. Je n’avais aucune expérience concrète comme comédien, tout ce que je possédais c’était des années de lecteurs de revus et livres de cinéma dont je m’approvisionnais à Paris, autant dire une tonne de théorie mais rien de vraiment pratique. Boutemene m’a fait confiance et cette confiance qu’il a mise en moi m’a angoissé. J’avais tellement peur de le décevoir. La mentalité était très différente à l’époque, souvent les réalisateurs avaient le flaire pour choisir des acteurs en qui ils pouvaient avoir confiance et les laisser faire, ça c’est la marque des grands réalisateurs.
6 – En 1976, vous avez travaillez avec Mr Ahmed Lallem aussi en rôle principal dans BARRIERES, dites-nous encore plus sur cette expérience Mr Laloui.
Oui justement, je vous disais que la confiance et la liberté accordée par un réalisateur sont les marques des grands. Par exemple, BARRIERES d’Ahmed Lallem, les dialogues étaient signés par l’imminent écrivain Tahar Ouettar. Eh bien, quand j’ai lu le scénario, je trouvais que par moment les dialogues étaient en contradiction avec le personnage, avec cette histoire sur la féodalité. Par moment les dialogues étaient trop doux. J’en ai fait part à Ahmed Lallem. Il n’était pas du tout crispé, il m’a dit : « Ecoute Rahim, traduis le dialogue comme tu le sens. » C’est énorme ! J’ai retravaillé tout le dialogue de mon personnage. Nous avons travaillé ensemble en amont à décortiquer le personnage, sa psychologie etc. Nous avons convenu de certaines choses, et depuis, jamais Lallem ne m’a vraiment dirigé, il m’a laissé carte blanche. Enfin, c’est une manière de diriger ceci dit.
Et c’est aussi depuis cette époque, contrairement à la plupart des acteurs, que je m’intéressais à la technique. Je voulais tout connaitre de la technique. La pellicule utilisée, sa sensibilité, les focales surtout, ce qu’on appelle plus communément les optiques, courte focale, longue focale, le cadre, l’éclairage etc. C’est très important, ça m’aidait en tant qu’acteur, savoir où me positionner dans l’espace et comment danser en quelque sorte avec la caméra ; parce que, jouer au théâtre et jouer au cinéma n’a aucun rapport. Et je me formais à devenir réalisateur aussi, je posais tout le temps des questions aux techniciens, en particulier les directeurs de la photographie dont beaucoup sont devenus de grands amis, malheureusement beaucoup ne sont plus de ce monde paix à leurs âmes, mais certains sont encore en vie comme mon cher ami Chemseddine Touzene, grand directeur de la photographie qui a travaillé sur mon film Mémoire de Scène.
7 – Mr Laloui, vous avez enchainé les rôles principaux avec PREMIER PAS de Mohamed Bouamari en 1978 et UNE FEMME POUR MON FILS de ALI Ghanem en 1979 que gardiez-vous de ces beaux pas dans le cinéma Algérien en tant qu’acteur principal ?
De beaux souvenirs, franchement. Les années 70 sont l’âge d’or du cinéma algérien, et du cinéma mondial en général. Mais si on compte, je n’ai fait à ce moment-là que peu de film mais c’est parce que je refusais certaines propositions qui j’estimais, ne me correspondais pas intellectuellement, notamment les propositions de téléfilms. J’avais pour principe de ne faire que des films de cinéma. J’étais devenu très sélectif car, en toute modestie j’avais acquis un statut de vedette après, une tête d’affiche parmi les acteurs de ma génération, les Aggoumi, Kouiret etc. Dans PREMIER PAS il y avait Hassan Elhassani, Nouria. Dans UNE FEMME POUR MON FILS je partageais la distribution avec Farida Sabondji, Chafia Boudraa, Mustapha Elanka paix à leurs âmes. Dans BARRIERES, Rachid Ksentini était également distribué, et Abdelkader Bougassi, géant du théâtre national, jouait mon frère ainé. Il y avait aussi Habiba une grande actrice Libanaise qui a fait beaucoup de films en Egypte où elle résidait d’ailleurs, des films comme LE MOINEAU de Youssef Chahine où elle était tête d’affiche. Dans BARRIERES également, ils avaient même ramené le maquilleur de Charles De Gaulle et Jean-Paul Belmondo, Charly Koubesserian, grand maquilleur d’origine Arménienne, qui a formé bon nombre de maquilleurs ici en Algérie dont le regretté Tahar Razal paix à son âme. Il n’y avait que du beau monde, c’était un honneur de travailler avec tous ces talents.
Enfin, tout n’a pas été rose non plus, faut pas exagérer. Je vais vous raconter une petite anecdote, sans évidemment citer de noms : BARRIERES, grand film, gros budget, et alors que j’étais distribué officiellement, qu’on avait entamé le tournage, on reçoit ordre de Mr Abderrahmane Laghouati qui était DG de L’ONCIC, l’Office nationale du commerce et de l’industrie cinématographique d’arrêter le tournage. Il a convoqué Ahmed Lallem, le réalisateur et Mahmoud Lakehal, le Directeur de la photographie. Nous les comédiens nous n’étions au courant de rien. L’actrice coincée à l’hôtel Aurassi pendant une semaine à ne rien faire etc. Puis, on a repris le tournage, et à la fin de ce dernier, Lallem qui ne m’avait rien dit de cette histoire, me raconta les raisons de cet arrêt et de cette convocation. Apparemment, un jeune comédien, enfin jeune à l’époque, dont je ne citerai pas le nom, connu et reconnu déjà à l’époque, est allé demander audience à Abderrahmane Laghouati DG de l’ONCIC, pour proférer des allégations mensongères. Lui dire que je ne valais rien comme acteur, que j’étais un amateur, que je n’avais pas fait de formation, affirmant que je faisais perdre du temps à la production à force de refaire des prises, de gaspiller la pellicule, et qu’ainsi, le film, par ma faute, courait à la catastrophe. Oubliant que Brahim Hadjadj l’interprète de Ali Lapointe dans la BATAILLE D’ALGER, fut repéré dans un marché à Elharrach. Bref, à la réunion, Lallem et Lakehal ont démentis, disant que bien au contraire, nous étions gagnants à 100%, en plus je n’étais pas sans expérience, j’avais déjà fait un premier film en rôle principal avec
LA LIGNE DE FEU, et que jamais ils ne regrettaient de m’avoir pris pour le rôle, au contraire de ce comédien qui est allé proférer des allégations mensongères et avec qui Lallem avait eu une mauvaise expérience sur un précèdent film, et il avait peur de renouveler cette expérience sur BARRIERES. Moi j’ai mis à contribution pour le film ma voiture de marque Alfa Romeo 1750, mais pas que. J’ai tout donné pour ce film. Ma voiture, mes costumes, que j’ai choisi en fonction du personnage, et même les cascades c’est moi qui les faisait. Et Lallem a témoigné en ma faveur devant les cadres de l’ONCIC. En toute modestie, mais cette jalousie, cette rivalité, parce que c’est ce que c’était, m’a toujours poursuivie, même après quand je voulu passer à la réalisation. La jalousie peut être une bonne motivation quand on veut construire, mais là, il voulait me casser pour passer devant, et pas que lui d’ailleurs, on y reviendra.
Bref, j’essayais de trouver une cohérence entre tous les rôles que j’ai endossés. Souvent j’allais vers des rôles aux antipodes de ce que je suis dans la vie, des hommes durs, parfois brutaux, misogynes, c’était un engagement de ma part. BARRIERES, PREMIER PAS de Mohamed Bouamari et UNE FEMME POUR MON FILS d’Ali Ghanem en sont l’illustration. PREMIER PAS raconte une histoire vraie, qui se passe du côté de Tissemsilt, de la première femme maire en Algérie, et moi je jouais son mari. Un professeur d’éducation physique qui s’opposait à l’élection de sa femme à la tête de la mairie. Et dans UNE FEMME POUR MON FILS, je jouais un émigré, illettré, forcé par sa famille d’épouser en Algérie une femme qu’il n’aime pas, d’abord, parce qu’il la trouvait trop jeune, ensuite parce qu’il ne l’aimait pas tout simplement. Alors autant l’homme que la femme sont dans ce film des victimes de leur tradition archaïque, de leur famille.
Ceci dit, je n’ai pas fait que l’acteur durant cette période. J’avais mon entreprise de décoration, j’ai fait entre autre la décoration du Théâtre nationale d’Alger TNA en 1975 où le directeur était le grand comédien de théâtre et moudjahide Elhadj Taha ElAmiri agé de plus de 92 ans et à qui, au passage, on souhaite une longue vie et une bonne santé. Donc c’est ce qu’on pourrait appeler, une période faste de mon existence.
8 – Vous avez écrit deux scénarios, LES HOMMES DE LA NUIT en 1982 et HURLANT A L’INFINIT 1994.
En 1982, le premier projet avorta et le second s’arrêta après le début du tournage, engageant vos fonds propres, et qui n’a jamais vu le jour. Quelle lecture pouvez-vous nous donner par rapport à ces deux tristes évènements ?
J’ai toujours été démangé par le virus de la réalisation. Déjà avant UNE FEMME POUR MON FILS en 1979 j’ai écrit ce scénario avec Mohamed Bousbaa paix à son âme, qui était un ingénieur du son. C’était une histoire à laquelle je pensais depuis BARRIERES déjà, et sa racontait le milieu des éboueurs, une histoire concentrée en trois jours et trois nuit. Rouiched devait jouer dedans, Sid Ali Kouiret, Said Helmi, Boualem Benani, Aziz Degua. Nous étions passés à la commission de lecture de la télévision qui l’a classé en première catégorie. A l’époque, cette dernière était composée de noms prestigieux, tel que Rachid Boudjedra, Abdelhamid Benhadouga, Tahar Ouettar et présidait par Bahil Fodala. Et même que mon amie, la grande Vanessa Redgrave, a accepté de jouer dans mon film. Actrice admirée, oscarisée, palmée, et qui à l’époque été boycotté à Hollywood à cause de sa position franche en faveur de la Palestine. Elle devait jouait une représentante de l’OMS. Ahmed Bejaoui, Directeur des productions à la télévision qui produisait le film avec une participation de la ville d’Alger, en coproduction avec l’ONCIC, n’en revenait pas que j’eusse pu la convaincre. Tellement il n’y croyait pas, il m’a demandé un fax officiel de sa part pour confirmer sa participation et c’est ce qu’elle fit. Elle lui envoya un fax de Londres où elle réside, disant qu’elle était honorée de participer au film de Abderrahim Laloui LES HOMMES DE LA NUIT à titre gracieux.
Le projet, coproduit par l’ONCIC à la tête duquel il y avait un homme formidable, très humble, Mohamed Lakhdar Hamina. A qui j’ai demandé audience et qui m’a reçu, le plus simplement du monde. Je lui soumis mon désir de tourner le film en 35MM au lieu du 16MM et il a accepté.
On lança la machine, préparation, repérage et tout ça. Et boom, au moment où les réalisateurs ont appris que Vanessa Redgrave participait au film, ils se sont groupés contre le film en menaçant de faire grève si le film d’Abderrahim Laloui, un gars étranger à la télévision à laquelle ils appartenaient, sans citer leurs noms, était produit.
Pourtant, en Algérie, au Ministère de la Culture à l’époque, on suivait les textes rédigeaient à Hollywood, qui exigeaient qu’un acteur ait fait trois long métrages minimum comme premier rôle pour ambitionner de réaliser un film. J’étais tout à fait éligible.
Voilà, j’aurais franchement pu me battre ou me débattre plutôt, mais j’avais reçu un choc. Devant tant de bassesse et surtout, superstitieux comme je suis, voyant que ça commençait à jazzer, j’ai tout laissé tomber.
Je suis revenu avec un autre projet quasiment neuf ans plus tard avec HURLANT A L’INFLINI, encore une histoire inspirée de faits réels. Un fait divers que j’avais lu dans le SOIR D’ALGERIE, on y racontait les déboires d’un enfant abandonné.
Nous avions le FDATIC, le CAAIC, et j’ai mis une partie de mes fonds propres pour entamer le tournage en 1994. Mais les évènements politiques tumultueux que nous traversions et la dissolution du CAAIC ont fait que nous avons tout stoppé, mais au bout de trois semaines d’interruption j’ai compris que c’était fini et j’ai alors remboursé le FDATIC, je suis le seul Cinéaste et Producteur à avoir remboursé le Ministère de la Culture. Nous avions tourné trois semaines et tout s’est arrêté.
Amar Laskri, paix à son âme, DG du CAAIC à l’époque m’a demandé de patienter mais les jeux étaient faits, les entreprises ont été liquidées et c’était parti pour une décennie d’une véritable traversée du désert. Voilà la tragédie de ma vie de cinéaste.
9 – En 1987, vous lancez votre propre boite de production SYNCHROCOM, vous avez réalisé plusieurs documentaires, quel était l’élément déclencheur Mr Laloui ?
Je devais travailler. Ma boite était l’une des premières sociétés de production privée. Avec un matériel pointu qui me permettait d’être autonome ce qui me permettait de faire à peu près ce que je voulais dans les domaines du documentaire, du reportage et même de la publicité. Il m’est même arrivé de louer mon matériel à la télévision pour vous dire. Mohamed Ifticen, qui travaillait en même temps à la télévision, travaillait dans la boite comme consultant. Mohamed Bitouri, consultant à la banque Mondiale, travaillait également comme consultant dans la boite.
Nous avions fait bon nombre de documentaires, sur la Casbah, SONATRACH etc. Mais aussi, nous étions les premiers à faire des spots publicitaires en Algérie, les facteurs, les Z packs et le journal liberté dirigé par son fondateur, mon ami Ahmed Fatani, pour qui nous avons fait un spot réalisé par le grand cinéaste, le défunt Moussa Haddad Paix à son âme.
10 – Parlez-nous de votre collaboration avec la chaine Saoudienne MBC pour la réalisation DES CLUBS DU CINEMA ARABE ?
MBC était la première chaine satellitaire. J’ai donc eu l’idée de faire LES CLUBS DU CINEMA ARABE, où tous les faiseurs de ce cinéma, vedettes, cinéastes, producteurs, scénaristes et même techniciens et critiques, de par le monde arabe, nous fassent découvrir ces cinématographies deux fois par mois, à travers un film et un débat.
J’ai proposé mon idée à la chaine MBC qui fut emballé et me commanda un numéro pilote.
Evidemment, pour le pilote j’ai engagé mon propre argent, plus d’un million quarante-cinq mille dinars, à l’époque c’était énorme, ça comprenait la location du studio, la construction des décors que j’avais conçu, la location du matériel, les salaires des techniciens mais aussi la prise en charge des invités. Pour les invités justement j’avais décidé de rendre hommage à Salah Abou Seif, un géant du cinéma. Un homme d’une extrême gentillesse, bien que malade, il s’est déplacé d’Egypte pour venir enregistrer en Algérie l’émission pilote. J’avais choisi de présenter son film SAKAMATE, LE PORTEUR D’EAU ET MORT, avec Izat Elalayli et Belkiss, tous les deux m’ont fait l’honneur de leur présence, et j’ai complété tout ce beau monde par Lekhmiss Khiati, spécialiste de Salah Abou Seif, qui a écrit un livre sur le cinéaste et Tahar Chriaa, papa de l’actrice Belkiss, grand critique de cinéma Tunisien et fondateur du Festival de Carthage. Et pour la partie Algérienne j’avais invité Mustapha Bouchachi pour parler du sujet du film et de droit. Le tout animé par une professeure en littérature arabe, et à la réalisation Mohamed Ifticen.
Et bien qu’MBC ait adoré le numéro pilote il ont eu une exigence impossible, enregistrer l’ensemble des émissions à Londres, là où se trouvent les locaux de la chaine et au même coût de production que ce numéro pilote, ce qui était tout simplement ridicule. Bien que le budget de ce numéro pilote m’avait couté les yeux de la tête, il était ridiculement bas par rapport à ce qu’il aurait dû couter en réalité, et ce qu’il aurait couté si nous avions dû enregistrer à Londres. Donc, ces deux conditions ont mis un terme à un beau projet sur l’échange et la découverte des différentes cinématographies du monde arabe.
J’ai proposé l’émission en 1998 à Hamraoui Habib Chaouki directeur de la télévision à l’époque qui avait adoré après visionnage et a même acheté un portrait de Salah Abou Seif que nous avions tourné à l’occasion de sa visite. Hamraoui Habib Chaouki, délégua quelqu’un pour prendre en charge le projet et il n’y a jamais eu de suite, le projet est passé définitivement aux oubliettes.
11 – Quel message adressez-vous aux futurs cinéastes algériens, et que gardez-vous du cinéma algérien d’antan ?
J’en garde un très bon souvenir. Il y avait des valeurs. L’Algérie, à l’époque et jusqu’à aujourd’hui, est l’un des rares pays qui donnait sa chance aux cinéastes de réaliser leurs films, et j’ai eu ma chance, j’en suis totalement conscient et entièrement reconnaissant. Ce n’est pas l’administration qui m’a bloqué, ce sont des individus qui parfois étaient tapis, cachés à l’intérieur même de la profession, et comme je suis superstitieux j’ai toujours préféré lâcher l’affaire la tête haute lorsque je vois que ça jazze trop. Mais bon ce n’est pas ce que je garde de cette époque franchement, je garde que le positif. Je vais pour l’occasion citer Elcheikh Elghazali qui disait : « J’ai filé à leur intention et mon fil était trop fin. Mais je n’ai pas trouvé parmi eux de bons tisserands. J’ai alors brisé ma quenouille. »
Mais si je devais adressez un message aux futurs cinéastes algériens, c’est d’être de vrais artistes, sans idéologie, en traitant les sujets avec honnêteté et surtout en profondeur, non en faisant semblant ou en dénigrant avec de mauvais clichés. Mais il faut être prêt à échouer. On ne peut pas garantir une carrière dans le cinéma en général, que l’on soit cinéaste ou producteur, ou même scénariste. Ce n’est pas une science exacte. Par exemple, Un thé au Sahara de Bertolluci qui est un chef d’œuvre, n’a pas marché à sa sortie, il n’a même pas remboursé le quart de son budget, ni l’Etranger de Visconti etc. En Algérie, le seul film qui a remboursé son budget est l’Inspecteur Tahar, ce sont les chiffres de l’ONCIC, et pourtant il y avait des salles de cinéma et un public contrairement à aujourd’hui où ça s’est considérablement dégradé depuis une trentaine d’années. Les salles de cinéma ont été données aux mairies qui les ont transformés en fast-food. Maintenant qu’ils sont entrain de récupérer les salles, peut-être qu’il y aura une résurgence du cinéma. En tous cas, pour les futurs cinéastes, ça à avoir un peu avec le talent mais beaucoup avec la chance. Si vous aimez le cinéma, vous faite comme moi, c’est à vos risques et périls. Il faut prendre des risques, et être persévérant.
12 – Qu’est-ce qui vous émeut chez une femme aujourd’hui ?
Si vous parlez de mon émotion d’homme d’un certain âge face à une femme, il est clair que mon vécu et mon expérience ont fait accroitre mon admiration pour celui qu’on nomme à tort le sexe faible, beaucoup de femmes sont biens plus fortes que biens des hommes, nos femmes sont d’ailleurs d’autant plus méritantes qu’il faut l’admettre, elles font face à un environnement des plus hostile. Tout cela, je le soupçonnais pendant ma jeunesse sans en avoir vraiment conscience. Il est évident que mon expérience avec les femmes m’a fait prendre conscience de leur force et de ce qu’elles ont apportées d’équilibre et d’harmonie à ma vie tout d’abord et à ce qu’elles apportent à la vie en général.
Ensuite, si vous parlez des femmes en général, j’ai essayé dans mon film MEMOIRE DE SCENE, d’illustrer une Algérie que j’estimais, avant l’arrivée de l’intégrisme, en orbite vers la modernité, où le rôle de la femme était central. La femme, que ce soit à travers la pièce de théâtre que les personnages tentent de monter, ou à travers les personnages eux-mêmes, est essentielle, elle est au cœur de la mécanique censée éveiller les consciences, faire avancer la société, elle doit être partout. Dans le film, elle l’est. Elle est mère, professeure, pilote d’avion, actrice, autrice etc. Elle est légale de l’homme, son complément, l’un ne peut exister sans l’autre et mon film montre cette déchirure, cette violence exercée contre la femme et le rôle qu’elle doit occuper. Violence exercée contre la femme mais aussi contre tous ceux qui l’admirent, l’aiment et la défendent. Vous me demandiez ce qui m’émeut chez une femme ? Eh bien c’est ce caractère précieux, ce rôle qu’elle représente sans en avoir réellement conscience et qui est comme un joyau, présent et intrinsèque en elle. C’est ce caractère digne et précieux qui doit être sauvegardé. Une femme vous donne du baume au cœur rien qu’à travers un simple regard ou un sourire. C’est ce qui pousse tout homme normalement constitué à vouloir défendre la femme, non qu’elle soit faible, elle est précieuse c’est un diamant. Je dis, homme normalement constitué, parce que malheureusement j’ai de plus en plus l’impression que l’homme, le mal, n’est plus ce qu’il était, l’homme algérien est de plus en plus déformé par ce qu’il convient d’appeler notre culture tribale, qu’il importe de débattre et de combattre pour avancer, elle s’oppose en tout point à la république et à ce qu’on pourrait qualifier de culture civile, citadine. Le cinéma et l’art en général doivent contribuer au débat. Il est cependant également triste de voir que parfois, on entend certaines femmes défendre ce patriarcat rétrograde et se montrer d’une féroce misogynie, vous vous dites que rien ne peut vous émouvoir là-dedans. Bref, il est très difficile de changer les mentalités.
Je me permets de rajouter ceci, en tant qu’homme : la femme, très souvent, est ce qu’on projette en elle, elle est le reflet de votre attitude, de votre regard, ce n’est pas pour rien si en arabe on l’appelle IMRA’A, elle est un miroir. Quand on a compris ça, on entrevoit une partie du pouvoir des femmes, elles peuvent vraiment vous rendre très heureux, en paix avec vous-même et le monde, cela dépend beaucoup de vous.
13 – Quel message adressez-vous aux femmes algériennes et aux femmes du reste du monde ?
Plus que jamais, le combat continu, il ne s’agit pas juste de la femme, c’est un combat pour l’humain et son émancipation. Il est cependant triste de constater qu’il y a, du moins dans le monde arabe et en Algérie en particulier une régression à ce niveau. De mon temps, les femmes étaient bien plus émancipées et libres de disposer d’elles-mêmes. Évidemment, il faut relativiser, ce problème de la répression de la femme et de sa domination a toujours existé mais j’estime réellement que nous avons régressé, il n’y a qu’à constater la généralisation de certains signes ostentatoires, et qu’on ne me dise pas que ça réponde à des choix. Aujourd’hui, j’ai l’impression que tout le monde juge tout le monde et que la femme est la première cible de ces jugements bien plus qu’à l’aube de l’indépendance ou les années 70 – 80.
Il est essentiel que la femme algérienne évolue, s’instruise et par conséquent s’affranchisse en embrassant entre autre d’autres cultures pour réellement avancer. Nous vivons aujourd’hui un choc entre la civilisation et la tradition archaïque. Et ce n’est pas en contradiction avec l’Islam du Coran. La tradition, c’est une autre histoire, elle s’est imposée à cause d’un contexte environnemental, social, c’était une autre époque. Une tradition faite par les hommes dans un contexte donné n’aurait pas dû s’imposer et s’opposer à l’inspiration divine qu’est le Coran. Beaucoup d’intellectuels ont parlé de ce contexte, Roger Garaudy, Malek Benabi ou plus récemment Mohamed Shahrour qui explique comment l’humanité est passée de la sauvagerie à la civilisation, ce processus a pris des millions d’années au cours desquels l’humanité a traversé trois âges distincts. D’abord, le matriarcat, ensuite, les premières sociétés humaines/civilisés sont apparues avec Noé et l’adoption du concept de famille et la naissance du patriarcat, il explique qu’à partir de là une nouvelle ère a commencé, l’er du patriarcat, il poursuit en disant que c’est la raison principale pour laquelle tous les prophètes sont des hommes, ils ont tous vécus pendant ce laps de temps de domination patriarcal essentiel pour imprimer définitivement ce concept inexistant dans la nature qu’est le père. Shahrour continue en disant : puis arrive notre prophète Mohamed que le salue soit sur lui et qui a entamé la troisième ère, celle de la parité homme/femme et dont la transition se poursuit 1445 ans plus tard, c’est à dire jusqu’à nos jours. Il est paradoxal que la religion qui a insufflé cette idée d’égalité, de parité homme/femme trouve chez ses disciples les plus virulents adversaires à cette égalité.
Regardez ce que dit Roger Garaudy dans LE MESSAGE DE L’ISLAM, sur l’Islam est la femme justement :
« Un penseur Français a écrit que l’on juge de la qualité d’une civilisation par le rôle qu’y jouent les femmes.
Evalué selon ce critère, la civilisation occidentale ne saurait être donnée en exemple : Il a fallu, en France par exemple attendre le début du 20eme siècle pour que la femme puisse disposer de ses biens indépendamment de son mari, ou le dernier tiers du 20eme siècle en Italie pour que la femme ait le droit au divorce. Alors que le Coran et la Sunna du prophète reconnaissent l’un et l’autre depuis quatorze siècles. »
Vous voyez, Dieu appelle à l’émancipation de la femme. Ceci dit, j’ai confiance, nous sommes un peuple de combattants et de combattantes, je suis fier de dire que la femme Algérienne et arabe a toujours été digne de cet Islam que tous les grands intellectuels de par le monde reconnaissent et dont ils font l’éloge. La femme Algérienne a toujours été à l’avant-garde de tous les combats et au nom de tous les principes, mon message est que je souhaite vraiment que cette mémoire perdure et que les femmes, en Algérie ou ailleurs poursuivent cette lutte et soient à la hauteur de ce qui a déjà été accomplis.
Maintenant la femme en général, celles qui appartient à d’autres cultures, elle a décollé, elle a réussi à se dissocier de sa tradition archaïque, pour un renouveau des traditions justement, demain, c’est la civilisation qui deviendra tradition. Que laisserons-nous pour les générations futures ? Il faut arrêter de s’accrocher aux traditions, celles-ci doivent muter et évoluer. Cette femme en général comme vous dites, elle l’a compris. Elle a conquis l’espace, les mers, elle est partout.
14 – Quel message vous avez à transmettre à HORA MAGAZINE ?
Le nom de votre magazine est très beau, il résume parfaitement l’enjeu. La liberté. Cette liberté au cœur de tous les débats. Cette liberté qui doit être à la fois partielle et totale, porte en elle la contradiction et donc toute sa problématique. La femme est en réalité une locomotive, la liberté de l’homme est intimement liée à celle de la femme, si elle n’est pas libre, lui ne peut pas avancer, ne peut pas accéder à la civilisation, il reste archaïque. Si elle n’est pas libre, elle ne peut remplir ce rôle de locomotive, elle doit l’incarner, il est le sien, et elle finira par le faire, elle n’a pas le choix. Nous y allons, et vous, vous êtes par ce projet de magazine à l’avant-garde de ce dessein. Vous y contribuez et ça c’est très intéressant que HORA offre un espace d’expression, essentiel, merci beaucoup pour cette contribution.
Merci de nous avoir permis de réaliser cette belle interview
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Ce n’est pas un interview mais c’est une romance que je viens de lire sur notre cher réalisateur Rahim que j’ai eu l’occasion de connaitre a ENPA autour des grands de notre cinéma algérien qui était le fleuron du cinéma africain hélas comme disait notre ami ce n’est pas l’administration qui fait des bons projets ce ne sont que des hommes et parfois ces hommes sont de connivence avec le diable qu’a avec la culture par haine humaine merci pour la revue el Hora belle présentation